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De l’action à la vision, l’évolution de la prise de parole du dirigeant

De l’action à la vision, l’évolution de la prise de parole du dirigeant
Elon Musk, serial entrepreneur, at TED2013: The Young, The Wise, The Undiscovered. Wednesday, February 27, 2013, Long Beach, CA. Photo: James Duncan Davidson
Elon Musk, CEO de Tesla, SpaceX et X. Photo: James Duncan Davidson

Au fil des années, j’ai constaté l’évolution de la prise de parole des dirigeants. Au-delà de l’immédiateté du partage et de la réaction, les réseaux sociaux ont, selon moi, transformé le positionnement même des dirigeants. Ils sont ainsi passés du statut de chef d’entreprise (CEO, Directeur Général), pilotant la stratégie d’une entreprise et son déploiement, au rôle « attendu/souhaité/subi » de visionnaire. Et cela implique des prises de position dépassant bien souvent le cadre de l’activité de l’entreprise.

Un patron industriel doit avoir une ambition pour l’environnement puisqu’il en a la responsabilité sociétale (RSE) mais aussi légale, ce qui est bien souvent sous-estimé (lire l’article de Bpifrance). Un dirigeant de la tech doit répondre de l’impact des évolutions technologiques sur la société dans les prochaines décennies, à l’image des récentes prises de position de dirigeants de Google et Microsoft sur l’intelligence artificielle (lire l’article de The New York Times). Celles-ci interagissent de plus en plus avec des questions d’éthique personnelle au sein des équipes.

Des collaborateurs de plus en plus exigeants

L’impact de la prise de parole du dirigeant revêt donc une importance grandissante. Et cela change tout. D’une part pour des collaborateurs – actuels et futurs – de plus en plus exigeants et qui souhaitent que la vision de l’entreprise s’aligne avec la leur, parfois même l’inverse. D’autre part, pour l’entreprise elle-même, où la personnalisation influence directement l’institution à l’image d’Elon Musk. D’un côté, sa vision de la mobilité et de l’énergie a permis à Tesla de lever plusieurs milliards d’euros avec pourtant un PER de 70*, là où celui de Stellantis – second constructeur mondial en termes d’Ebit en 2022 (lire l’analyse de EY) – est de 3*. D’un autre côté, les prises de position du propriétaire de X ont participé à la chute de 50% de la valorisation de l’ancien Twitter (selon une note interne rapportée par le Financial Times). L’exemple de Goldman Sachs est lui aussi significatif. Les passions de son dirigeant, David Solomon, se mêlent à l’actualité de l’institution centenaire (lire l’article du journal Les Echos). Dans un monde où tout est signifiant, la frontière entre l’activité professionnelle et la vie personnelle – difficile de parler encore de vie privée – du dirigeant est de plus en plus ténue. L’histoire a ainsi montré, de nombreuses années après, à quel point des leaders inspirants pouvaient avoir de multiples facettes. Je pense en particulier à Steve Jobs. Il a compris, avant beaucoup d’autres, la place qu’occuperaient les leaders visionnaires dans la construction de la performance des entreprises. Je parle bien évidemment d’une vision pouvant être industrialisée et créer de la valeur durablement. Pourtant, s’il était aujourd’hui CEO d’Apple, resterait-il en poste, quand certains auteurs lèvent le voile sur son « management du harcèlement ». Cela soulève ainsi une nouvelle exigence, celle d’une vision exemplaire, traduite par des actions qui le soient tout autant.

Si Steve Jobs a eu un tel impact planétaire, au-delà du mythe, c’est qu’il a été vrai. Avec lui, il y a un modèle de leadership qui a influencé des générations d’entrepreneurs de la tech, d’innovation industrielle sans limite, sans concession, hyper rentable, d’engagement sociétal associant collaborateurs et clients.

Si Steve Jobs a eu un tel impact planétaire, au-delà du mythe, c’est qu’il a été vrai. Son discours devant les étudiants de Stanford en 2005 est pour moi marquant, revenant sur des périodes de sa vie qui plus tard nourriront la différentiation d’Apple (ex : la typographie). Steve Jobs a brisé les codes parce qu’il n’en avait probablement pas ou, plus exactement, pas ceux établis à l’époque. Le jean et le col roulé noir, les grands événements de lancement de produit (les keynotes de la firme de Cupertino) sont des images bien réductrices de la dimension avant-gardiste de l’homme. Avec lui, il y a un modèle de leadership qui a influencé des générations d’entrepreneurs de la tech, d’innovation industrielle sans limite, sans concession en termes de design, hyper rentable, d’engagement sociétal associant collaborateurs et clients… de narrative inspirante, propre à faire lever les communautés de fans devant chaque « partage » d’innovation. Un article de la Harvard Business Review« Steve Jobs and Mangagement by Meaning » de Roberto Verganti décrypte cette approche très précisément.

 

Je trouve les interventions de David Pouyanné particulièrement intéressantes, dans le sens où, malgré des sujets clivants, il partage une vision claire et engagée, qui nourrit la réflexion, ouvre le débat, que l’on soit pour ou contre.

Un respect sans complaisance

Les dirigeants les plus inspirants, les plus talentueux dans l’échange ou performants en termes de mise en œuvre de leur vision sont convaincus par ce qu’ils disent et surtout vous convainquent au terme de l’entretien. Une caractéristique commune est qu’ils marquent du respect, sans complaisance, pour les personnes à qui ils s’adressent (leurs collaborateurs, leurs clients, leurs partenaires…). Et surtout, ils ont vécu des événements, certains parfois difficiles, qui leur ont appris à relativiser la réalité de l’éphémère. D’abord que les succès s’éclairent à l’aulne des échecs (pertinent dans le cadre de levée de fonds face à des investisseurs). Que l’innovation d’aujourd’hui sera la plupart du temps la généralisation de demain (mesurer l’impact d’éléments de langage galvaudés).

 

La langue de bois risque de devenir la langue de plomb dans le sens où elle pèse de plus en plus défavorablement sur le dirigeant qui l’utilise.

Parler avec moins de filtres et une grande responsabilité

Prendre la parole autrement, c’est pour moi, au-delà des éléments de langage, parler avec moins de filtres et une grande responsabilité. C’est tout sauf évident, encore plus dans un univers hyper médiatisé, où la parole est très encadrée. Mais la langue de bois risque de devenir la langue de plomb dans le sens où elle pèse de plus en plus défavorablement sur le dirigeant qui l’utilise. Plus que jamais, les personnes ont besoin de sens et de pouvoir se projeter, collectivement, de coconstruire, même si la route est pavée de difficultés. Pour ma part, je trouve les interventions de personnalités comme Patrick Pouyanné particulièrement intéressantes (exemple de réponses aux questions de députés sur le portail de l’Assemblée nationale). Malgré des sujets clivants – c’est un euphémisme et j’imagine déjà les sourcils de certains se dresser –, il partage une vision claire et engagée, qui nourrit la réflexion, ouvre le débat, que l’on soit pour ou contre. Cette information, porteuse d’échange de points de vue, de débat, est un pilier de démocratie pour la société, mais aussi au sein de l’entreprise. Ne pas être toujours d’accord, mais œuvrer dans un sens commun représente un puissant levier d’innovation et de progrès. C’est également un pilier de gouvernance.

* Données financières au 3/11/23, Source Fortuneo, valeurs de PER estimées pour 2023

© Photo d’ouverture : James Duncan Davidson

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Andy Devriendt

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